Christophe MOUCHEREL

Barthélémy FORMENTELLI

 

 

 

 

 

 

 

Oyez, bonnes gens !

C’est en 1725 que le Sieur Christophe Moucherel terminoit sa toute nouvelle Orgue, d’une bonne sculpture et architecture moderne, ladite Orgue posée dans l’église de l’Abbaye Notre-Dame de la Ville de Mouzon, Ordre de Saint Benoit.

C’est en 1991 que le Sieur Barthélémy Formentelli, Facteur d’Orgues très-habile résidant à Vérone, et fort-connoisseur de la facture dudit Moucherel, terminoit de racommoder ladite Orgue qui en avoit bien besoin.

 

Les signatures des deux facteurs d’orgue

L’orgue (1725 – 1991)

Prélude : « Encore un pastiche sans intérêt… », me disait avec une moue de mépris un célèbre musicologue et journaliste français, lors de la reconstruction. Depuis l’inauguration en octobre 1991 par Olivier Latry jusqu’à nos jours, le “pastiche” a intéressé, voire enthousiasmé, un nombre énorme d’auditeurs et d’organistes venus des 4 coins de l’Europe, s’est produit au cours d’innombrables concerts publics, quelques concerts privés, a attiré une foule de visiteurs à la tribune, a permis la réalisation de 15 enregistrements connus et appréciés un peu partout dans le monde !

Spécificité de cet instrument : Si l’on se contente de lire la composition, c’est à dire la liste et l’emplacement des jeux, on constatera qu’on a affaire à un orgue français, sans compromis. Christophe Moucherel est retrouvé sur le papier : « 4 claviers et pédale, un grand huit pieds avec bourdon de 16’… », avec un écho important comprenant 7 jeux indépendants, un heureux héritage du XVII° siècle, présentant les 3 familles : un petit plein-jeu ; bourdon, nasard et tierce ; musette (en fait un cromorne étroit), et un volet placé au-dessus des claviers qui permet de jouer ce plan sonore en Brustwerk, ou Pectoral, à l’allemande. Rien d’étonnant quand on sait que Moucherel a appris la facture avec des allemands et qu’il connaissait sans doute les factures française, allemande et flamande de l’époque.

Si donc les claviers de Grand-Orgue, Positif et Écho sont remis dans leur disposition d’origine de façon quasi certaine, il faut savoir que certains ajouts fort intéressants, mais sans rupture de style, ont considérablement amendé cet instrument : 50 notes pour les 2 claviers principaux au lieu de 48, 32 notes pour le Récit au lieu de 27, 39 pour l’Écho et 27 pour la Pédale au lieu de 24 primitivement. Grand-Orgue et Positif “montent” au ré 50, sans premier do#, comme à Albi, le Récit “descend” au 2ème sol, l’Echo au 2ème do, et la Pédale ajoute aux deux octaves les do#, ré et mi dans l’aigu. Voilà pour l’étendue des claviers… tout en respectant le buffet original et la fenêtre de la console.

Certains jeux furent ajoutés à Mouzon : au Cornet de Récit, une Trompette et un Hautbois (comme à Albi) ; à la Pédale une Flûte de 16’ et une Bombarde. La Pédale de Moucherel courait de Fa 0 à Fa 2, avec Flûtes 12’ et 6’, Trompette et Clairon : on ne pouvait la reconstruire ainsi. Évidemment, la reconstruction quasi intégrale autorise quelques privautés, à condition qu’elles respectent le style et le buffet. Restaient de Moucherel, à part le splendide écrin, quelques pilotes de registres, les sommiers et les Flûtes en bois de Pédale, et… 5 petits tuyaux d’étain, sans doute de Plein-jeu. Barthélémy Formentelli, qui avait restauré le grand chef-d’œuvre d’Albi quelques années auparavant, a bien reconnu la patte du maître dans la réalisation des soudures. Les autres sommiers ont disparu lors des travaux de Déjardin, vers 1870, qui remettaient l’orgue au goût du jour, c’est à dire dans le style symphonique, et les tuyaux de métal sont confisqués par les Allemands en 1917…

Voici pour la disposition. Mais c’est loin d’être suffisant pour caractériser l’orgue français ou l’orgue baroque. Combien d’instruments dits baroques – où chaque jeu devrait avoir sa personnalité et pouvoir bavarder avec les autres – se révèlent au mieux de leur forme dans une œuvre de César Franck, ou bien ne font que « miauler dans les coins », pour reprendre une expression de Bernard Aubertin, ou bien encore imitent assez bien l’orgue électronique dit de type classique ou church organ ! Le nom des jeux ne suffit donc pas, il faut leur donner L’HARMONIE INSTRUMENTALE qui convient… ce qui n’est pas une mince affaire.

A l’atelier : tout doit être réalisé artisanalement et dans les règles de l’art ! Pour Mouzon, Dom Bédos fut la référence absolue, sans concession. Il serait trop long ici d’en mentionner toutes les caractéristiques mais une lecture attentive de son Traité “L’art du facteur d’orgues” (1766) s’impose. Citons simplement, pour l’étain : fusion à l’atelier, 95% en règle générale, rabotage à la main, martelage au marteau mécanique, biseau sans dents. Pour les anches : languette en laiton gratté, découpée et limée à la main, rasette en fer, coin en noyer. Soufflets cunéiformes avec porte-vent en bois doublement parcheminés, postages en plomb. Sommiers, claviers et mécanique en matériaux nobles du pays, comme à l’époque.

A la tribune : le facteur donne le son, pour la première fois, à l’instrument. C’est le travail de mise en harmonie, essentiel et émouvant – qui a occupé à Mouzon 4 personnes pendant 3 mois – suite logique du travail artisanal à l’atelier qu’il doit en quelque sorte magnifier, ce qui requiert non seulement une longue pratique mais aussi un goût décidé et un sens certain de la poétique instrumentale : ouverture des bouches sur place en fonction du style, de la force du vent et de l’acoustique du vaisseau ; travail des anches et surtout des languettes. Encore ne s’agit-il pas ici d’un savoir-faire définitif et répétitif, mais bien d’une CRÉATION à chaque fois renouvelée, avec tous les aléas et les bonheurs qu’elle suppose… Pour le style, la référence fut à Mouzon, encore une fois, Dom Bédos, mais aussi Albi (1734) et quelques vestiges : 75 mm à la colonne d’eau, bouches légèrement plus hautes qu’à l’ordinaire, la 392, tempérament inégal à 3 tierces justes. Les Principaux suivent une Montre assez grosse, dont les tailles de toute la façade furent retrouvées dessinées par Christophe Moucherel au compas à pointe sèche sur le revers des panneaux du soubassement. Cette harmonie telle qu’elle se pratiquait à l’époque, au biseau à vive arête, permet une prononciation idéale, à l’attaque claire et franche, sans mollesse, et, conjointement, un timbre affirmé et riche en harmoniques naturelles. Certes, à qui exige de l’orgue à tuyaux la soi-disant et moderne “perfection” du son, sans aucun “parasite” – comme disent les acousticiens – , et l’homogénéisation “parfaite” de toutes les notes, cette harmonie humaine, bien plus difficile à obtenir, ne donnera pas satisfaction. En contrepartie, quelle vie, quelle nature, quel caractère dans ce son ! Un nombre croissant d’organistes et d’auditeurs, même néophytes, ne s’y trompe plus…